Nous devons commencer par le match contre Napoli, où vous avez fait un travail énorme. Le premier but refusé est venu après votre duel gagné face à McTominay. Ensuite, vous avez délivré la dernière passe sur un autre but refusé de Zaniolo. Et enfin, cette frappe que Vanja Milinković-Savić a réussi à détourner sur la barre transversale. Comment analysez-vous tout cela ? On imagine que la frustration doit être grande.
Jakub Piotrowski : C’est vrai que la plus grande frustration vient du fait que Vanja ait réussi à sortir ma frappe, car je pense que c’était une très belle intervention de sa part. Il m’a manqué un peu de réussite, et les autres situations ont été un vrai ascenseur émotionnel : tu marques deux fois et les deux buts sont annulés par la VAR. On sait qu’une telle situation peut parfois se retourner contre toi lors d’un match.
Mais en tant qu’équipe, nous avons bien réagi et nous avons gardé cette énergie jusqu’au coup de sifflet final. Nous méritions ce but et la victoire. Il me reste peut-être un petit regret de ne pas avoir marqué, car cela aurait été sympa d’enchaîner deux matches avec un but. Mais gagner 1-0 contre le champion d’Italie, c’est un vrai plaisir – que j’aie marqué ou non.
Le mot-clé, c’est la stabilité
D’autant plus que vous venez de réaliser un véritable "triplé". Vous avez battu les trois équipes du podium de la saison dernière. Napoli rejoint l’Inter et l’Atalanta.
Exactement, ce qui veut dire qu’il nous faut maintenant trouver un certain équilibre face à des adversaires théoriquement plus abordables. Pour que les points pris contre les meilleures équipes de Serie A aient encore plus de saveur, il nous faut engranger davantage de points contre les autres équipes. Le mot-clé, c’est la stabilité.
Après le dernier match, votre moyenne en Serie A est d’un but toutes les 700 minutes. Si on ne regarde que cette statistique, ce n’est pas forcément impressionnant. Mais votre rôle est différent de celui que vous aviez à Ludogorets, vous travaillez beaucoup plus défensivement et votre position moyenne est dans votre propre moitié de terrain. Est-ce que le passage d’une équipe qui dominait le championnat bulgare à une lutte pour chaque point a été un grand saut ?
C’est certain, à Ludogorets j’avais beaucoup d’occasions et de possibilités de frapper au but, d’entrer dans la surface. Nous dominions et marquions bien plus de buts par saison en tant qu’équipe, donc les occasions ne manquaient pas. Ici, nous ne faisons pas partie du top 4, comme l’Inter cette saison qui marque énormément, donc les opportunités sont un peu moins nombreuses. Mais je pense que lors des deux ou trois derniers matches, j’ai vraiment eu quelques occasions, je me retrouve de plus en plus souvent dans la surface et je deviens de plus en plus dangereux.
C’est une vraie différence, mais j’ai toujours cette envie de gagner. Même si avec l’Udinese on ne gagnera pas tout, chaque défaite est vraiment difficile à encaisser. Car ces trois dernières années, pour moi, concéder un match nul était déjà une défaite, donc c’est une expérience nouvelle. Bien sûr, j’ai déjà joué dans des équipes qui ne gagnaient pas tout et ne jouaient pas toujours le titre, mais les dernières années étaient différentes. C’est un tout autre championnat, avec d’autres joueurs en face chaque semaine, donc un nouveau défi très intéressant. Je suis vraiment heureux non seulement de vivre cela, mais aussi de voir que ça progresse match après match.
Face à Napoli, toute l’équipe a été impressionnante – vous n’avez jamais relâché la pression malgré deux buts refusés. Mais vous aussi, vous avez joué de façon plus audacieuse qu’au début. C’est une question de confiance, de meilleure entente ou d’une meilleure connaissance du championnat ?
Je vais commencer par la fin. Cela vient avec les matches, avec l’analyse des espaces sur le terrain. Je continue d’apprendre, donc je trouve plus d’espaces, peut-être un meilleur timing : savoir à quel moment et dans quelle zone plonger. Donc le début a aussi été pour moi une phase d’apprentissage de ce championnat et je pense avoir beaucoup progressé. J’ai avancé match après match, car j’avais de plus en plus de matière pour analyser mon jeu et anticiper comment les adversaires se comportent sur le terrain.
Et le fait qu’il y avait une chance de battre Napoli ? Je pense qu’avec un bon état d’esprit, une bonne énergie collective et beaucoup de confiance, tu peux vraiment battre n’importe qui en Serie A. Bien sûr, certains matches sont plus difficiles. Mais je pense que quand tu entres sur le terrain, c’est 0-0 et tu peux rivaliser avec tout le monde et montrer de belles choses. Contre Napoli, dès la première minute, on était présents avec le bon état d’esprit. Pendant 90 minutes, on a vu qu’on croyait en nos chances de gagner. Surtout la seconde période a été riche en émotions, un beau match aussi pour les supporters. Deux buts refusés, mais on a continué à pousser à chaque minute.
Les résultats sont la meilleure preuve, puisque vous avez tenu tête à tout le haut du classement de la saison passée. Maintenant, il n’y a plus d’excuses pour les autres matches...
Exactement, mais je reviens à ce mot : stabilité. Il faut garder une forme régulière, équilibrée, et il ne doit pas y avoir de trop grandes fluctuations d’une semaine à l’autre pour rester au contact du haut du classement en Serie A.
Vous prenez très au sérieux votre rôle dans cette stabilité : en plus de l’analyse avec l’équipe, vous faîtes aussi des analyses personnelles après chaque match.
J’ai une personne – aujourd’hui un ami – avec qui je travaille depuis longtemps (l’analyste Przemysław Gomułka – ndlr) et on s’assoit ensemble. Avant de commencer l’analyse, il sélectionne les actions les plus importantes pour moi, celles dont je peux tirer profit pour les prochains matches. Parfois, on s’inspire des meilleurs joueurs et de leurs comportements à imiter. Au moins une fois par semaine, on analyse les situations clés. Pas forcément les meilleures, mais celles où j’aurais pu faire mieux, qui peuvent se reproduire, où une solution différente pourrait m’aider.
Le calendrier n’est pas extensible, et vous êtes devenu récemment papa. Comment gérez-vous tout ça ?
Le premier mois, ma famille était en Pologne, donc je ne les voyais que pendant mes jours de repos, quand j’avais l’accord de l’entraîneur. Depuis deux semaines, ils sont avec moi sur place et c’est vraiment un super moment pour moi. Les journées passent plus vite, il y a plus de mouvement, plus de responsabilités. Mais j’en tire beaucoup de plaisir et je suis quelqu’un qui aime bouger, qui n’aime pas trop s’ennuyer, donc pour l’instant, tout se passe très bien.
Bien sûr, ma fiancée joue un rôle énorme. Car pour moi, le sommeil est la chose la plus importante pour la récupération et la préparation des matches. Donc je dors souvent séparément pour bien me préparer à l’entraînement, puis au match.

Colonie polonaise à l’Udinese
L’adaptation a sans doute été facilitée par votre connaissance de l’entraîneur. Mais vous n'aviez pas vu Kosta Runjaic depuis sept saisons. Sa méthode a-t-elle changé ?
Je pense que c’est tout simplement un entraîneur intelligent, qui a dû s’adapter aux exigences du championnat. Certains aspects de l’entraînement, de la préparation des matches ont changé, car la Serie A l’exige. Il accorde plus d’attention aux détails défensifs, à la préparation du jeu défensif, car c’est très important en Italie. Mais en ce qui concerne la gestion du groupe ou la collaboration avec le club, cela a toujours été son point fort.
Donc, en tant qu’entraîneur, il n’a pas vraiment changé pour moi. Il a simplement évolué, comme un joueur. Il est devenu encore meilleur, il s’est préparé à la Serie A et s’y est adapté. Mais pas totalement, car il ne joue pas le football italien classique qui consiste à fermer le match. En tant qu’équipe, nous voulons attaquer, presser, et cela n’a pas changé.
Est-ce lui qui a été décisif dans votre transfert ? Je sais que l’Udinese vous suivait déjà, et avant de venir vous étiez en contact avec Adam Buksa, il y a aussi le coach Małecki dans le staff.
Il y a aussi le coach Trukan, un autre Polonais. On a notre petite colonie. L’environnement autour de Małecki et du staff a clairement joué un grand rôle dans ma venue ici. Je pense que trois saisons à Ludogorets, c’était optimal. Après deux, j’étais déjà prêt pour un nouveau défi, et la troisième saison, c’était pour garder la forme en vue d’un nouveau challenge. Quand l’Udinese est revenu à la charge l’été suivant, j’ai eu plusieurs discussions avec l’entraîneur. On a commencé à négocier, mais en réalité, je voulais déjà ce changement. Je voulais un nouveau défi et tous ces facteurs ont compté.
Personnellement, je pensais que le transfert aurait lieu après ta deuxième saison, quand vous aviez des statistiques incroyables. Vous ne vous demandez jamais ce qui se serait passé si vous aviez changé de club à ce moment-là ?
Je ne peux pas y penser, car ce n’était tout simplement pas possible. Il y a eu des tentatives, de l’intérêt, mais ça n’a pas pu se faire. Donc il n’y a pas à se poser la question, car ce n’était pas ma décision. Je savais que c’était le bon moment pour changer de club, mais ce n’était pas possible. Tout dépendait de la volonté de Ludogorets de me laisser partir, donc je n’avais pas le dernier mot pour dire "Non, je pars". C’est moi qui ai entendu "Non, tu ne pars pas".
Mais aujourd’hui, ce nouveau défi est là et il commence plutôt bien. Il y a eu des entrées en jeu, mais vous n'aviez jamais connu de période sans jouer. Je me souviens qu’à KRC Genk ou à Fortuna, ces "creux" vous frustraient beaucoup. Si cela arrivait aujourd’hui, avec votre expérience, seriez-vous prêt ?
La plus grande frustration, c’était en Belgique. J’ai changé de club en tant que jeune joueur, alors que la saison précédente, je jouais la plupart des matches titulaires à Pogon Szczecin. Peut-être que je ne comprenais pas qu’il fallait attendre sa chance, s’entraîner. C’est le seul moment où la frustration a vraiment grandi. Et à la Fortuna Düsseldorf, la première saison n’a peut-être pas été idéale, mais j’étais déjà plus patient et je savais ce qu’il fallait faire.
En ce moment, depuis le début de la saison, je n’ai pas toujours été titulaire, mais je pense qu’avec mes entrées en jeu, j’ai montré que j’étais toujours prêt. Je pense avoir apporté de bonnes choses et je montre à chaque fois que je suis prêt pour chaque match, peu importe le temps de jeu. Bien sûr, tout le monde veut jouer d’entrée et l’objectif est d’aider l’équipe à gagner autant que possible.
Et ce but contre le Genoa, vous a-t-il enlevé un poids ? Ou vous n’êtes plus à un stade où un but marqué détermine votre confiance sur le terrain ?
Non, je ne ressentais pas de pression particulière concernant les buts. Pour un joueur offensif, c’est toujours un objectif, moi je suis – disons – à mi-chemin. Je dois être partout, j’ai mes responsabilités, mais j’ai aussi l’expérience et le goût du but des saisons précédentes, donc ça me procure beaucoup de joie, comme à tout joueur. Il n’y avait pas de frustration : je savais que les occasions viendraient et que je finirais par les concrétiser. Lors des matches précédents, j’ai aussi tenté quelques tirs de loin, comme contre la Cremonese, une action que j’aurais dû mieux finir. Donc je savais que le but allait arriver.
On va conclure, donc une question plus lointaine. Avez-vous déjà en tête les barrages de mars et la Coupe du monde ? Quel est votre état d’esprit ?
Bien sûr, il est positif, mais c’est en mars et nous sommes en décembre. En football, trois mois, c’est long. On ne sait pas encore quels joueurs seront disponibles, qui sera en forme, pas seulement dans notre sélection mais aussi du côté de l’Albanie, donc il faut encore attendre.
Mais il y a la confiance et les qualités pour passer le premier match, c’est là-dessus qu’il faut se concentrer. Cela peut sembler banal, mais c’est la vérité : il faut d’abord battre l’Albanie, puis penser au deuxième match de barrage. Comme je l’ai dit, il reste un peu de temps et on en saura plus fin février – qui sera disponible, dans quelle forme, et ce sera le moment clé pour évaluer nos chances. Mais lors des derniers matches de l’équipe nationale, on a vu qu’on avait clairement les moyens d’aller à la Coupe du monde. C’est un tournoi exceptionnel et tous ceux qui peuvent jouer en sélection rêvent d’y participer, moi y compris.
